Les mondes professionnels du sport de haut niveau
Corpus coordonné par Mathilde Julla-Marcy, Igor Martinache et Nicolas Simonpoli
(à paraître à l’automne 2027)
Depuis près d’un demi-siècle, le sport de haut niveau connait une professionnalisation accrue dont les effets sont observables tant à l’échelle des organisations collectives que des trajectoires individuelles. Nombre de travaux de sciences sociales ont choisi d’appréhender ce phénomène en combinant les apports des sociologies du sport et du travail (Bertrand 2012 ; Rasera 2016). Ces contributions ont prouvé tout l’intérêt d’étudier les sportifs et sportives de haut niveau comme des travailleurs et travailleuses à part entière. Ce faisant, ils ont démontré combien, par-delà un marché de l’emploi spécifique (Duhautois, 2017), des modes de valorisation économique particuliers (Schotté, 2016) et une réglementation du travail dédiée (Fleuriel, 2021), ils et elles sont confrontés à des transformations de l’activité productive qui font écho à celles qui traversent le reste de la population active. Un des enjeux de ce numéro est ainsi d’interroger à la fois les particularités des mondes du travail sportif et leurs similitudes avec d’autres univers professionnels, en évitant ainsi de présupposer l’exceptionnalité de l’espace des sports.
Pour ce faire, en se décentrant des sportifs et sportives eux-mêmes, le présent appel à contributions propose de porter l’analyse sur les travailleurs et travailleuses qui soutiennent l’activité des sportifs et sportives de haut niveau – entendus au sens large, et non strictement institutionnel, de celles et ceux qui participent aux grandes compétitions nationales et internationales. À l’instar de l’univers artistique tel qu’étudié par Howard S. Becker (1988), on peut affirmer que la performance sportive relève d’une « production collective » (Schotté, 2022) qui implique et nécessite un important « personnel de renfort », professionnel ou non, assurant une diversité de tâches et porteurs d’une grande variété de savoir-faire et dispositions. Il s’agit ainsi de considérer l’ensemble des acteurs et actrices qui évoluent autour des sportifs et sportives de haut niveau. Cet entourage peut inclure des activités d’une grande diversité, que ce soit l’encadrement organisationnel (présidents, cadres fédéraux, directeurs sportifs, intendants), la préparation physique (préparateurs physiques, kinésithérapeutes, médecins) et psychologique (thérapeutes, préparateurs mentaux, psychologues du sport, coachs), l’accompagnement professionnel (recruteurs, agents, syndicats), ou encore l’ensemble des formes de contrôle de la pratique sportive de haut niveau (arbitrage, antidopage, gestion des organisations).
Si plusieurs axes de réflexion issus de la sociologie du travail et des professions ont déjà été appliqués à ces travailleurs et travailleuses, certaines thématiques et certaines professions ont été peu, voire pas, investies. Cet appel propose quatre axes de réflexion complémentaires afin de mieux cerner le travail de celles et ceux qui participent de l’activité des sportifs et sportives de haut niveau.
1. Organisation et division du travail
Le premier axe cherchera à comprendre comment s’organise le travail de ces professionnels. Il s’agira ainsi d’étudier la formation de systèmes de travail qui font interagir diverses catégories de travailleurs et travailleuses. Les contributions pourront s’intéresser à la division des tâches, à la définition des hiérarchies ou des rôles au sein des organisations de travail. L’explicitation des dynamiques de collaboration et de concurrence permettra de mettre en lumière comment se définissent « les juridictions professionnelles » (Abbott, 1988) entre des métiers qui n’ont ni la même historicité, ni la même légitimité au sein des mondes du sport. Les contributions pourront également s’attarder sur les différentes échelles auxquelles se déploie l’organisation du travail. Il s’agira alors de questionner la plus ou moins grande distance – opérationnelle, symbolique ou physique – de ces professionnels avec les sportifs. Si certains entretiennent un rapport direct, régulier, voire corporel avec les athlètes, d’autres interviennent à distance. Ces disparités pourront être mises en lien avec la structuration des réseaux professionnels – de recrutement, de formation, de data analyse – qui s’étendent du local au supranational et au sein desquels évoluent des travailleurs et travailleuses au statut d’emploi divers (indépendants, salariés du donneur d’ordre, sous-traitants, travailleurs à la tâche, bénévoles, etc.) et qui disposent de conditions de travail parfois très inégalitaires.
2. Gestes et pratiques du travail
Un deuxième axe de réflexion s’intéressera à l’ensemble des gestes et des pratiques qui composent les métiers de ces travailleurs et travailleuses. Il s’agira alors de penser les différentes formes d’habileté technique mobilisées en direction des sportifs. Les savoir-faire à investiguer sont multiples. Ils incluent l’ensemble des pratiques orientées vers les corps ou le mental ; mais aussi tout le travail logistique entourant la performance, voire le « travail émotionnel » (Hochschild, 2003) réalisé par l’entourage. Toutefois, il convient de garder à l’esprit que ces gestes n’existent pas de manière isolée. Intégrés à une division du travail, ils sont pensés, réalisés et contrôlés collectivement. Ils connaissent donc d’importantes variations à la fois selon les contextes et dans le temps. Les contributions permettront de comprendre comment la diffusion de nouveaux outils techniques – médicaux, de communication, de mesure de la performance, etc. – a pu transformer en profondeur les pratiques de certains entourages.
3. Relations professionnelles au sein des mondes du sport
Le troisième axe propose de s’intéresser plus spécifiquement à la question des relations professionnelles. Si certains travaux ont éclairé les ressorts de la mobilisation collective des footballeurs professionnels, cette dimension des mondes professionnels du sport reste encore largement à explorer. Les contributions s’inscrivant dans cet axe pourront ainsi s’intéresser aux formes de négociations individuelles et collectives des contrats de travail, aux logiques de fonctionnement des marchés du travail ou encore aux formes qu’y prennent les rapports sociaux, en étant tout particulièrement attentifs aux dimensions atypiques ou conflictuelles. De même, une attention particulière pourra être portée aux appropriations des conventions collectives, celles du sport, mais aussi celles des professions qui s’y déploient, ainsi qu’aux autres formes de régulation professionnelle (associations, ordres, etc.). Un autre angle de recherche pourra porter sur les formes d’exploitation de la passion et du dévouement particulier qui peut être attendu de ces travailleuses et travailleurs au nom de la « cause du sport ». Les propositions pourront également s’intéresser au fonctionnement des syndicats professionnels ainsi qu’aux spécificités qui caractérisent leurs relations avec les employeurs. Les rapports particuliers au groupe professionnel qu’entraîne l’appartenance au milieu du sport de haut niveau (en termes d’identité professionnelle, de reconnaissance et de légitimité notamment), ainsi que les formes de précarité induites par le caractère événementiel de cet univers, pourront aussi être interrogés. Ces axes de réflexion permettront de penser les formes d’inégalités et les rapports de domination – de classe, de sexe, de race, etc. – qui émaillent les relations professionnelles au sein des mondes du sport.
4. Dynamiques et trajectoires de professionnalisation
Un quatrième axe cherchera à penser l’articulation entre les dynamiques de professionnalisation d’une discipline sportive et celles des travailleurs et travailleuses qui s’y impliquent, notamment ceux perçus comme « périphériques », étant entendu que la première n’implique pas nécessairement la seconde. Il s’agira alors de décrire des temporalités et des rythmes de professionnalisation différenciés en pensant ensemble les trajectoires individuelles et institutionnelles. La question de la mobilité comme ressort – ou conséquence – des trajectoires de professionnalisation sera à envisager. Pourront également être analysés les tensions et les conflits induits par les situations aux frontières de l’amateurisme et du professionnalisme qui mettent en jeu la définition des missions, de l’engagement et de la place des acteurs. De manière plus classique, l’émergence de diplômes et de formations universitaires ou extra-universitaires comme outils de régulation du marché du travail et des contours de groupes professionnels, visant à être reconnus comme tels, s’insèreront également dans cet axe.
Calendrier et format des propositions
Merci d’adresser les propositions d’article (seulement au format Word ou Odt) au plus tard le 28 février 2026 exclusivement à nrtravail@gmail.com (les demandes d’information sur l’AAA sont à envoyer à la même adresse).
Les propositions d’articles ne doivent pas dépasser les 45 000 signes (espaces et bibliographie compris) ; les métadonnées (noms et rattachements institutionnels, titres, résumés et mots clés, en français et anglais) doivent figurer dans un fichier à part. Les règles de mise en forme sont indiquées sur https://journals.openedition.org/nrt/531
Références bibliographiques mobilisées…
Abbott Andrew (1988), The system of professions: An essay on the division of expert labor, Chicago, The University of Chicago Press.
Becker Howard (1988), Les Mondes de l’art, Paris, Flammarion.
Bertrand Julien (2012), La fabrique des footballeurs, Paris, La Dispute,.
Duhautois Richard (2017), « Un marché du travail segmenté tout au long de la vie », Connaissance de l’emploi, Centre d’études de l’emploi et du travail.
Fleuriel Sébastien (2021), La Convention collective nationale du sport. Un droit sur mesure, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble.
Hochschild Arlie Russell (2003), « Travail émotionnel, règles de sentiments et structure sociale », Travailler, vol. 9, no1, 19‑49.
Rasera Frédéric (2016), Des footballeurs au travail : au cœur d’un club professionnel, Marseille, Agone.
Schotté Manuel (2016), « “Acheter” et “vendre” un joueur. L’institution du transfert dans le football professionnel », Marché et organisations, n° 27, 149-165.
Schotté Manuel (2022), La Valeur du footballeur. Socio-histoire d’une production collective, Paris, CNRS Éditions.
L’AAA en version PDF : >>>
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Olivier Cléach (30 juin 2025). AAA Corpus n°31. CARNET DE LA NRT. Consulté le 9 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/148p2
